Paris Match : Vous
si mal à l'aise dès qu'un regard se pose sur
vous, vos dernières photos sont limite "porno chic". Est-ce
nécessaire pour vendre ?
Mylène Farmer : Il faudrait encore définir ce
qu'on appelle porno chic. Il n'y a dans ces photos, que je sache, ni
pornographie ni nudité apparente. A ma connaissance
– pour reprendre votre terme –, la pornographie n'a
jamais été chic.
Paris Match : Elles
sont tout de même provocantes...
Mylène Farmer : Je ne fais pas ce métier pour
provoquer. Mais, parfois, certaines provocations sont synonymes de
liberté. Dans un spot télé qu'on vient
de faire pour la promotion du "Best Of" comprenant les extraits de mes
clips, il y a un plan de trois secondes dans lequel un homme
soulève délicatement un drap avec une badine et
découvre une paire de fesses. Les censeurs de la
publicité nous l'ont fait couper sans donner d'explication.
Quelle hypocrisie, alors qu'on nous abreuve toute la journée
de violence. Tout ce qui est tiède m'ennuie, le
politiquement correct, l'uniformité de pensée et
d'expression... Je ne suis pas naïve, je sais très
bien qu'en publiant ce genre de photos je vais provoquer un certain
type de réaction. Comme je suis la première
à m'insurger contre la censure, je ne peux pas
être mon propre censeur ! Je vais au bout de mes
désirs.
Paris Match : C'est
rare de vous voir sourire sur des photos...
Mylène Farmer : Ces photos ne représentent qu'une
des facettes de ma personnalité, la plus osée
sans doute. Une femme qui revendique sa féminité
avec peut-être plus de verve qu'une autre. C'est la situation
qui me fait sourire car cette femme, sur cette photo, c'est aussi tout
le contraire de moi.
Paris Match : Vous
ne pensez jamais aux détraqués qui fantasment sur
vous ?
Mylène Farmer : Je préfère ne pas y
penser, sinon je ne ferais plus rien.
Paris Match : Vous
aimez qu'on vous regarde ?
Mylène Farmer : Je choisis mes moments. J'aime
séduire avec les mots, avec les gestes. Si je n'aimais pas
séduire, comment pourrais-je faire ce métier ?
Paris Match : Vous
dites toujours que vous n'aimez pas vous censurer. Vous êtes
pourtant une malade du contrôle...
Mylène Farmer : Je sens une certaine agressivité
dans votre question. Les deux ne sont pas contradictoires. Oui, je suis
quelqu'un qui contrôle, mais pourquoi le contrôle
serait-il condamnable ? Contrôler c'est être aussi
exigeant, avec soi-même qu'avec les autres,
contrôler ce n'est pas ignorer ni ne pas respecter le talent
des autres. Je fais ce métier depuis dix-huit ans. J'ai
très vite compris qu'il fallait se méfier car il
y a toujours détournement :
détournement de mes intentions, détournement de
mes propos dans les interviews. C'est d'ailleurs la raison pour
laquelle je n'en donne pratiquement jamais. J'essaie de limiter les
débordements, les écarts, les mensonges.
Plutôt que de passer mon temps à me justifier, ce
qui n'est pas dans ma nature, je préfère le
silence.
Paris Match :
Est-ce qu'il ne vaut pas mieux parfois se tromper plutôt que
de toujours être sur ses gardes ?
Mylène Farmer : Je me méfie d'une certaine nature
humaine. Plus que tout, je redoute la trahison. Mais la
méfiance n'exclut pas le don de soi. Peut-être
m'a-t-on beaucoup trahie. Je ne sais pas. Ou plus. Je n'ai aucun
souvenir de mon enfance et mon adolescence est en train de s'effacer.
Paris Match : Je
vous imagine très bien petite fille en train d'arracher les
yeux de vos poupées !
Mylène Farmer : [Elle éclate de rire.] C'est
vraiment comme ça que vous me voyez ? Il y a un mois, je
recousais les yeux d'un vieux lapin en peluche ! Et puis, il
paraît que je préférais les camions aux
jeux de petites filles et que je fabriquais, comme dans “Tom
et Jerry”, des petites bombes avec des bouchons de
liège et, une mèche que je mettais devant les
perrons avant de partir en courant !
Paris Match : Cette
histoire d'amnésie, c'est vrai ou vous l'avez
inventée pour ne pas parler de votre passé ?
Mylène Farmer : Je ne comprends pas comment vous pouvez
penser une telle chose !
Paris Match :
Pourquoi ne vous autorisez-vous jamais à vous laisser aller ?
Mylène Farmer : Il n'est pas nécessaire d'avoir
des raisons pour avoir peur.
Paris Match : Vous
n'êtes faite que de contradictions. Vous êtes la
plus grande schizophrène que je connaisse. Lorsque je vous
ai vue pour la première fois sur scène descendre
du ciel à moitié nue, offerte au public, vous si
pudique, si timide, perdue dans vos profondeurs, j'avoue que j'ai du
mal à recoller les morceaux de votre
personnalité...
Mylène Farmer : Sur scène, j'arrive à
oublier le regard des autres, peut-être parce que je sais que
si les gens se donnent la peine de venir me voir, c'est parce qu'ils
m'aiment. La vie m'a fait un immense cadeau : j'ai une force incroyable
en moi, même si parfois je vacille, elle me permet de
toujours rebondir.
Paris Match :
Depuis un an, vos fans vous reprochent, je cite, “de les
prendre pour des vaches à lait” et de ne rien
donner en échange...
Mylène Farmer : Ne faites pas d'un cas isolé une
généralité. Je veux qu'on sache que je
n'ai jamais été à l'initiative d'un
fan-club, ni officieux ni officiel. Je n'adhère pas au culte
de ma personnalité. Si quelqu'un ou quelques-uns ont
décidé de leur plein gré de
créer un fan-club, c'est sous leur entière
responsabilité. Je ne me suis pas opposée
à la publication de leurs journaux car ils
étaient de qualité. Mais, pour autant, leur
destinée n'est pas de mon ressort et ils le savent
très bien. En revanche, je suis toujours
étonnée de voir certains médias
reprendre indéfiniment les mêmes fausses
informations.
Paris Match : Mais
vous ne leur donnez rien !
Mylène Farmer : Je ne pense pas qu'on "donne"
nécessairement quelque chose en racontant sa vie dans les
journaux. Je suis quelqu'un de très secret. Mon respect pour
le public est sans ambiguïté. Mon implication
morale, intellectuelle et sentimentale est la même, de
l'écriture d'une chanson à la fabrication d'un
clip, d'un tee-shirt ou d'un spectacle. Quand je donne un concert, il y
a un investissement colossal sur scène aussi bien
émotionnellement que financièrement. J'offre
exactement le même spectacle à Paris, en province
ou en Russie.
Paris Match : Dans
un sondage, vous êtes, après Laetitia Casta, la
personne qui gagne le plus d'argent dans ce métier: 35
millions de francs par an. C'est vrai ?
Mylène Farmer : C'est aussi faux que lorsqu'on dit que je
suis enceinte, que mon vrai prénom est
Marie-Hélène ou que le magazine "Marie-Claire"
affirme que je suis mère d'un enfant. L'argent me donne une
formidable liberté mais ce n'est pas une fin en soi.
Paris Match : Vous
gagnez plus ou moins ?
Mylène Farmer : Que Laetitia Casta ?
Paris Match : Vous
refusez toujours de parler de votre vie privée, alors on
l'invente !
Mylène Farmer : Dans vie privée, il y a
privé. Le mot est suffisamment éloquent. Je
n'admets pas cette forme d'intrusion. Je suis comblée
émotionnellement dans ma vie et dans ma carrière,
je n'ai rien à ajouter.
Paris Match : Vous
vous donnez, vous vous dérobez. Vous êtes
consciente quand même que vous entretenez des rapports
névrotiques avec la
célébrité?
Mylène Farmer : Je n'ai pas décidé de
faire ce métier pour être connue mais pour
être reconnue. Je n'ai pas à me justifier. On me
reproche toujours mon prétendu silence, mais le silence est
ma nature profonde. Ce qui est amusant, c'est que ce que certains
aiment chez moi est en même temps ce que d'autres finissent
par me reprocher. Alors que faire?
Paris Match :
Récemment, dans un dîner bien parisien, certains
invités s'étonnaient, entre autres choses, de
votre amitié avec Salman Rushdie...
Mylène Farmer : J'aime l'écriture. Ceux qui
m'aiment le savent. Ils ne doivent pas être dans vos
dîners mondains. La culture a toujours eu une place
très importante dans ma vie. J'aime Bataille, Cioran, Edgar
Poe, Tchekhov, Baudelaire. La poésie me transporte. Comme je
parle peu, je lis souvent.
Paris Match : Les
attentats du 11 septembre aux Etats-Unis et les
événements qui en ont
découlé ont été un
réveil pour beaucoup de gens. Et pour vous ?
Mylène Farmer : Je n'avais pas besoin d'une immense
catastrophe pour me réveiller et me faire comprendre les
urgences de la vie. Je ne passe pas une journée sans penser
à la mort. Pour la plupart des gens, les
cimetières sont chargés de tristesse. Pas pour
moi. Je les visite comme on visite des musées. Je m'y sens
bien quand ils sont beaux. De même qu'un arbre
calciné peut être aussi émouvant qu'un
arbre en fleur.
Paris Match :
Est-ce que je peux parler de vos activités silencieuses
auprès des enfants malades ?
Mylène Farmer : [Mal à l'aise.] Pour quoi faire ?
Ces moments sont des moments d'une grande richesse, très
forts et trop rares aussi. Des moments bénis, des moments
silencieux qui leur appartiennent.
Paris Match : Vous
venez d'avoir 40 ans. Vous projetez toujours une image de jeunesse. Il
y a un moment où ça deviendra
indécent...
Mylène Farmer : Il y a une grande part d'enfance en moi,
peut-être que je ne dois pas la quitter. Je sais qu'il y a un
âge où on ne peut plus faire le Marsupilami sur
scène. C'est vrai que j'ai peur de vieillir. Ce qui est
rassurant c'est que, quand les hommes parlent bien des femmes, ils
disent qu'au-delà de la quarantaine elles sont en pleine
possession de leur féminité.
Paris Match : Vous
croyez que vous pourrez vous passer des applaudissements ?
Mylène Farmer : C'est une question cruelle mais j'y pense
parfois. Je saurai quand viendra le moment où il faudra que
je change. Non pas le fond de mon expression mais la forme. Je saurai
ne pas faire le "combat de trop". Partir avant de lasser