Rock News : Avant
de parler de ton nouvel album, j'aimerais revenir sur Sans contrefaçon et
te demander si, à choisir, tu aurais
préféré être un
garçon ?
Mylène Farmer : La seule chose que je puisse dire, c'est que
toute une période de mon enfance fut un "purgatoire", c'est
à dire que, dans mon comportement, je ne figurais ni comme
jeune fille, ni comme jeune garçon. Une chanson, c'est plus
un plaisir et un amusement. Même si aborder ce sujet n'est
pas un hasard, ce qu'il faut mettre en avant, c'est une chanson.
Rock News : Combien
de temps as-tu travaillé avec Laurent Boutonnat pour arriver
à sortir
Ainsi soit je...
Mylène Farmer : Quatre mois de studio et, avec
l'écriture des textes, l'écoute des musiques de
Laurent, etc., on peut estimer cela globalement à cinq, six
mois de travail.
Rock News
: Ainsi soit
je..., ce n'est pas un peu mégalo comme titre ?
Mylène Farmer : C'est vrai que de dire et d'affirmer "Ainsi
soit je" est une forme de mégalomanie mais, dans mon esprit,
je ne l'ai pas formulé dans cette intention. Maintenant,
chacun va interpréter comme il le sent. Ainsi soit je...,
c'est la présentation d'une jeune fille avec tous ses
paradoxes et ses ambiguïtés. Ainsi soit je...,
c'est
aussi l'univers d'Edgar Poe et, indirectement, celui de Baudelaire.
C'est la présentation d'une personne et de sa
personnalité.
Rock News :
Y'a-t-il un fil conducteur dans Ainsi
soit je... ?
Mylène Farmer : On me parle d'album concept, je comprends ce
que ça veut dire sans trop le comprendre. Je peux en parler
différemment, car j'ai écrit tous les textes et
j'ai abordé des auteurs, des personnages et des
thèmes qui sortent de moi. Quand je parle d'Edgar Poe, c'est
parce qu'il est quelqu'un qui a vraiment fait partie de ma vie.
Baudelaire, c'est encore autre chose. Sans logique, c'est le paradoxe
satanique et angélique. Ma personnalité et ma
dualité, c'esr réellement ça. Je peux
basculer très facilement d'un extrême à
l'autre.
Rock News : Tu
définissais Cendres
de lune, ton précédent album, comme
un disque d'ambiance plutôt que de promotion. Comment
définirais-tu Ainsi
soit je... ?
Mylène Farmer : Je n'aime pas définir quelque
chose. Quand on répond à des interviews, on est
un peu obligé de réduire les choses. Si je te dis
que le premier album était intuitif et que le second est
beaucoup plus profond, c'est caricatural, mais c'est un peu vrai. Quand
tu fais une première oeuvre, disque ou livre, tu veux parler
de tellement de choses que c'est parfois un peu confus. Avec un second
album, tu maîtrises mieux ton oeuvre.
Rock News : Tu me
parles d'Edgar Poe et de Baudelaire, ce sont deux auteurs
étranges aux univers bizarres. Ce qui est frappant quand on
parle de toi avec d'autres artistes, c'est qu'ils adorent ce que tu
fais mais tu les inquiètes par tes
côtés un peu morbides...
Mylène Farmer : C'est vrai que la mort, la mère,
l'infanticide, tous les thèmes tabous n'ont pas
été tellement abordés et, quand on en
parle, on dérange et on inquiète. Ce sont des
sujets qui me passionnent et qui me tourmentent comme Edgar Poe, qui
faisait ressentir à travers ses écrits toutes ses
angoisses sur la mort et la peur du néant. Aborder ces
thèmes dans une chanson peut déranger, voire
choquer. Tout cela est dur à expliquer, les gens ont l'air
d'apprécier ce côté ambigu de ma
personnalité.
Rock News : C'est
vrai aussi que ta promotion a l'air d'être
extrêmement calculée...
Mylène Farmer : Oui, et c'est peut-être frustrant
pour le public mais ça l'est aussi pour moi. Il est dur
d'arriver à imposer sa personnalité et c'est
facile de la détruire. Le jour où je
déciderai de faire de la scène, de donner
rendez-vous aux gens qui m'aiment, il se passera forcément
quelque chose d'important pour le public et pour moi.
Rock News :
Qu'est-ce qui a changé en toi depuis un an ?
Mylène Farmer : Il y a une chose très importante,
c'est le courrier. Je ne parle pas des demandes d'autographes mais des
lettres qui font deux ou trois pages et qui vous disent des choses sur
vous, sur la manière dont les gens vous
perçoivent. Plus ça va, plus ce courrier contient
des choses importantes qui me touchent réellement par
rapport à ce que moi je propose.
D'autre part, le succès change forcément les
choses, plus par rapport à l'esprit qu'à la vie
courante. Je crois que c'est un mélange d'angoisse et de
plaisir décuplés, et l'un ne va pas sans l'autre.
C'est une jouissance qui vous meurtrit.
Rock News : Et ce
rendez-vous "d'amour", c'est prévu pour quand ?
Mylène Farmer : Un an, deux ans, en tout cas pas
au-delà de deux ans.
Rock News : Le clip
de Sans
contrefaçon a donné lieu
à une rencontre surprenante, celle de Zouc et de
Mylène Farmer, comment cela s'est-il passé ?
Mylène Farmer : Je ne connaissais pas Zouc personnellement
mais j'apprécie énormément son
personnage et ses spectacles. Elle a effectivement des points communs
avec moi parce qu'elle a abordé, entre autres, le domaine de
l'enfance et de ses problèmes, de la mort, de la naissance.
C'est une femme impalpable, une artiste. C'est un personnage
étonnant, dérangeant.
La rencontre s'est déroulée au cours de
l'émission "Mon zénith à moi", et
quand, avec Laurent, nous avons commencé à
écrire le clip, le personnage de Zouc s'est
imposé. Elle représente une sorcière,
mais la sorcière dans son côté ambigu,
tu ne sais pas si c'est une fée ou une sorcière.
Rock News : Le
clip, surtout tel que vous le concevez Laurent et toi, peut pousser au
cinéma. Qu'en est-il à l'heure actuelle ?
Mylène Farmer : J'espère vraiment que nous
pourrons tourner un film ensemble, ce serait un beau cadeau.
Maintenant, il n'y a rien de précis. Laurent a un projet qui
va sûrement se concrétiser. Quant à
moi, j'ai reçu des propositions, mais rien de bien excitant.
J'attends vraiment quelque chose qui me motive entièrement
car j'ai vraiment la patience d'attendre, on fait des erreurs quand on
n'a pas la force de patienter.
Rock News :
J'aimerais qu'on connaisse un peu mieux le côté
personnel de Mylène Farmer, qu'on arrête de parler
de la chanteuse pour parler de ses goûts et de ses
aspirations. Pout toi, le look, la mode, c'est important ?
Mylène Farmer : Le mot "look" me fait frémir,
j'ai horreur de cette appellation. Quant à l'habit, c'est
quelque chose que j'adore. Ma mère n'y est pas
étrangère, elle adorait s'habiller et
obligatoirement cela m'a marquée. Maintenant, l'aspect
physique n'est pas toujours le reflet de l'aspect mental mais les
chaussures sont très importantes et peuvent laisser
transparaître une personnalité (NDLR : sur ce,
nous éclatons de rire car je me suis instinctivement
baissé pour regarder quelles chaussures je portais.)
Rock News : Et la
politique, tu réagis àce qui se passe en ce
moment ? (lors de l'interview se déroulait la
campagne pour l'élection présidentielle de 1988,
ndlr)
Mylène Farmer : Je peux avoir des opinions politique mais je
ne me prononcerai jamais, à part sur des choses
très, très importantes où je pourrais
profiter de mon personnage public pour faire avancer des choses, voire
influencer des gens.
Rock News :
Justement, utiliserais-tu le fait d'être un personnage public
pour soutenir une cause si on te le demandait ?
Mylène Farmer : Non. Il y a une chose que je trouve dommage
c'est qu'à l'heure actuelle de nombreuses
émissions télévisées
demandent des dons pour telle ou telle cause. C'est formidable mais il
arrive un moment où c'est trop , les gens ont des limites.
On m'a souvent demandée de participer à des galas
pour "X" ou "Y", je dis non. Le jour où j'aurai envie de
faire quelque chose, je le ferai directement sans que tout le monde
sache que j'ai fait un chèque de tant de francs. J'ai besoin
de me respecter, et je ne pourrais pas faire autrement.
Rock News : Comment
définis-tu l'amour et comment le vis-tu ?
Mylène Farmer : Qui est capable de la définir ?
C'est la chose la plus inabordable qui existe, c'est un
mélange d'euphorie et d'horreur. Une fois de plus, je pense
à Edgar Poe, qui a écrit une nouvelle sur une
femme qui est sans doute la femme idéale. Tous les
superlatifs pour la décrire sont destructeurs et impalpables.
Rock News :
Arrives-tu à bien le vivre ?
Mylène Farmer : Ni bien ni mal. Je vis avec ce que je viens
de dire, des moments d'euphorie et des moments terribles. Mais la vie,
c'est ça pour tout le monde, artiste ou pas. Tu peux vendre
des millions de disques comme être ouvrier et te lever le
matin avec l'envie de te suicider. Le quotidien est la chose la plus
difficile à vivre.
Rock News : Quel
est le mot qui te fait horreur ?
Mylène Farmer : La chose qui me tourmente le plus et qui me
fait le plus de mal, c'est la désillusion
perpétuelle. C'est vivre avec cette notion du
dérisoire, ça, c'est très dur
à vivre.
Rock News : Et le
temps ?
Mylène Farmer : Il m'obsède. C'est un peu pour
ça le choix de L'Horloge
de Baudelaire dans l'album. La fuite du temps, c'est horrible.
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