A noter
que l'on retrouve dans cette interview une grande partie d'une autre
interview du même journaliste parue dans "Le Parisien" le 31
mai 1996 avec quelques questions supplémentaires ici
. Ciné
Télé Revue : Que s'est-il
réellement passé le 15 juin dernier à
Lyon ?
Mylène
Farmer : Il devait rester environ vingt
secondes de
spectacle. Je venais saluer le public lyonnais pour la
troisième fois après avoir chanté le
dernier rappel de XXL.
Je me suis heurtée à un danseur sur
l'avant-scène et, nous sommes tombés dans la
fosse d'orchestre. Le choc a été terrible.
Quel a
été le diagnsotic médical ?
Le danseur
était, par miracle, indemne.
Mais moi, outre des contusions un peu partout, je souffrais d'une grave
fracture ouverte du poignet. J'ai été
opérée d'urgence à Lyon, où
je suis restée cinq jours. Il était impossible de
reprendre la tournée.Les quatre-vingt-cinq personnes qui
travaillent sur le tour ont dû rentrer chez elles. Suivirent
ensuite une longue rééducation, puis une
convalescence à Paris et à Los Angeles.
Vous avez beaucoup
souffert ?
Oui.
Longtemps, surtout. D'autant qu'il a fallu me
réopérer fin juillet pour retirer les broches.
Mais, honnêtement, je m'en suis bien sortie, même
si, de temps en temps, j'ai encore un peu mal.
Quand avez-vous
recommencé à travailler ?
Fin
août, quand nous avons
tourné le clip de Comme
j'ai mal !
Un titre
prémonitoire ?
Ce qui est
incroyable, c'est qu'on venait juste de
décider de sortir ce single quand l'accident est
arrivé. Evidemment, le calendrier a
été un peu modifié.
Vous avez
entamé ce Tour
96 à Toulon, là où
certains refusent de chanter, là où d'autres
viennent pour s'exprimer... Etait-ce un choix
délibéré ?
Non, si ce
n'est celui d'une des plus belles salles
de France. Sur scène, mon seul message, c'est mon spectacle.
Si je devais discourir, je le ferais ailleurs. Je sortirais des lieux
communs détestables. J'ai par ailleurs gagné un
procès contre Jean-Marie Le Pen, qui utilisait un sosie de
moi pour sa propagande. Je ne prétends pas non plus qu'un
chanteur ne doive pas militer. Je ne le fais pas, et cela n'engage que
moi.
Votre nouveau show est
très spectaculaire. Est-ce pour vous
protéger de l'intimité qu'impose un
récital?
L'analyse
psychologique, il est trop tôt
pour la faire (sourire). Je crois que je n'éprouverais pas
de réel plaisir
à être seulement derrière un micro. Mes
envies de
scène passent par ce goût du show à
l'américaine, de "performance", de polyvalence.
Une performance qui
requiert une sacrée condition physique. Vous la cultivez ?
J'ai fait appel à un préparateur physique,
Hervé Lewis qui m'a surtout entraînée
à l'endurance. Un peu de course à pied, de
musculation, des massages et un régime alimentaire
à base
de sucres lents et sans Coca !
On vous dit
végétarienne ?
Je ne mange pas de viande, mais plus par goût que par
convictions diététiques ou morales.
A quoi dont-on
cette évolution ?
Je me méfie du mot évolution. Je lui
préfère épanouissement. Depuis mon
dernier disque,
j'ai passé quatre ans à
réfléchir,
à me détacher de certaines choses, à
ne
m'attacher qu'au moment présent, à
m'oublier au profit de l'autre, des autres. Après
l’échec de Giorgino, tout
s’est encore accéléré.
J’ai découvert le voyage et, ailleurs, le
sentiment de vivre enfin en liberté. Une sorte
d’apprentissage de la vie qui vous fait vous sentir plus
légère. Et puis, j’ai tiré
grand profit d’une lecture bouleversante, un ouvrage de
Sogyal Rinpoché, "Le livre tibétain de la vie et
de la mort". J’y ai appris quelques
mots-clés comme "impermanence".
L’idée que pour apprivoiser la vie, il faut
d’abord accepter la mort. Celle aussi qu’il y a une
vie après la mort. Si on les reçoit plein pot,
ces idées-là font office de
détonateur. Et lorsqu’on les digère, on
sent en soi une énergie nouvelle.
Voilà
enfin cette sérénité qui, jadis,
n'était pas votre fort ?
La sérénité, je ne l'ai pas atteinte.
J'ai
encore trop de chaînons manquants et je crains que le doute
soit
mon éternel compagnon de route. Mais aujourd’hui,
même si je ne renie pas Cioran, je remplacerais bien le
cynisme par l’humour. Le nihilisme, c’est
évidemment tentant face aux agressions de
l’époque, mais son enivrement rend
stérile. Une chanson comme Plus Grandir, je ne
pourrais plus la chanter. J’ai acquis des certitudes comme
celle du partage et je suis heureuse de terminer mon spectacle par un
morceau d’espoir. De même que le colorer de blanc
m’a inspirée, parce que c’est une
couleur qui vous porte le haut.
Là, on
flirte avec la religion, non ?
Le danger de la religion, c’est l’endoctrinement.
Je considère le bouddhisme, avec sa
légèreté et sa
générosité, plus comme une philosophie.
Il vous a fallu
beaucoup de philosophie pour oublier Giorgino ?
L’échec fait partie de ma pensée. Il
n’a donc pas provoqué de rupture. Je crois
même qu’il a été un bienfait,
car il m’a obligée à fuir
l’apitoiement sur moi-même et à boucler
un cycle.
D’où
votre affection pour cette phrase de Nietzsche : "Ce qui ne me tue pas
me rend fort" ?
Oui, les difficultés de la vie, et principalement les
déchirements entre les êtres, amènent
à puiser en soi des forces
insoupçonnées.
A dissiper les
peurs, aussi ?
Non. Mais les peurs c’est utile, elles vous dynamitent.
Vous voulez dire
"dynamisent" ?
Oh, ça veut dire la même chose. C’est un
lapsus heureux (rires).
Et les
excès, vous les revendiquez toujours ?
J’en aime certains comme j’aime la
démesure. Je me méfie de la destruction et de
l’irrespect de soi, mais je revendique le droit à
la frénésie.
Vous,
aujourd’hui, de quelle culture vous nourrissez-vous ?
Je lis beaucoup, et pas toujours Sade (rires).
J’écoute (Bob) Marley, Courtney Love et
d’autres, je regarde Planète et j’adore
la peinture, Ernst ou Jérôme Bosch par exemple.
Mais je ne vous dirai pas si j’en achète !
Il paraît
que vos voyages vous ont conduite à Bali ?
Je n’y ai passé qu’un mois. Je me suis
surtout partagée entre New York et Los Angeles.
Le soleil et les
plages, c’est devenu votre truc ?
Les plages, non. Le soleil, oui. Bien sûr, je ne pourrais pas
vivre en Californie éternellement, mais de temps en temps,
l’espace, la surdimension, la qualité de vie
quotidienne, et même la perte
d’identité, cela fait du bien. Et puis,
à Los Angeles, j’ai aussi travaillé.
Enregistrer là-bas m’a galvanisée. Non
pas que les musiciens y soient forcément meilleurs
qu’ici, mais rencontrer d’autres gens cela donne du
punch à ce que l’on crée.
Sexy, vous
l’êtes de plus en plus. Vous avez dit un jour que
troubler était un jeu qui permettait de se
détester un peu moins. A voir ce nouveau spectacle, vous
devez commencer à vous aimer ?
(Sourire) Dire que je m’aime serait aller un peu vite en
besogne, mais c’est vrai que j’accepte mieux mon
enveloppe. Je l’ai un peu rencontrée et je me sens
plus prête à la partager.
J’éprouve d’ailleurs une certaine
fierté à porter de nombreuses tenues en
scène et un réel plaisir à
m’offrir.
Sur
scène, vous mettez, à un moment, des hommes dans
des bulles transparentes. Un de vos fantasmes ?
Qui sait (rires) ? J’ai surtout voulu évoquer la
matière plastique et les préservatifs.
J’aime cette idée de bulle, de
sécurité et de transparence. Mais le
rêve, c’est quand même que l’on
puisse très vite s’en passer !
Une autre chanson
met en scène des drag-queens. On sait que la
communauté gay vous apprécie beaucoup et on vous
entend chanter dans "Pédale Douce". Fascination ou
militantisme ?
Je sais que je suis portée par la communauté gay,
mais il n’y a pas de philosophie là-dedans. La
catégoriser, c’est déjà la
différencier, et je ne le fais pas. L’androgynie,
plus on en parle et mieux c’est (sourire) !
Qu’est-ce
qu’on ne sait pas de vous ?
Que je
ne sais pas du tout cuisiner (rires).
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