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Mylène Farmer - Interview - Ciné Télé Revue - 26 novembre 1996



  • Date
    26 novembre 1996
  • Média / Presse
    Ciné Télé Revue (Belgique)
  • Interview par
    Alain Houstraete-Morel
  • Fichiers
    Mylène Farmer Presse Ciné Télé Revue Belgique novembre 1996 Mylène Farmer Presse Ciné Télé Revue Belgique novembre 1996 Mylène Farmer Presse Ciné Télé Revue Belgique novembre 1996
  • Catégories interviews



A noter que l'on retrouve dans cette interview une grande partie d'une autre interview du même journaliste parue dans "Le Parisien" le 31 mai 1996 avec quelques questions supplémentaires ici

.
Ciné Télé Revue : Que s'est-il réellement passé le 15 juin dernier à Lyon ?
Mylène Farmer : Il devait rester environ vingt secondes de spectacle. Je venais saluer le public lyonnais pour la troisième fois après avoir chanté le dernier rappel de XXL. Je me suis heurtée à un danseur sur l'avant-scène et, nous sommes tombés dans la fosse d'orchestre. Le choc a été terrible.


Quel a été le diagnsotic médical ?
Le danseur était, par miracle, indemne. Mais moi, outre des contusions un peu partout, je souffrais d'une grave fracture ouverte du poignet. J'ai été opérée d'urgence à Lyon, où je suis restée cinq jours. Il était impossible de reprendre la tournée.Les quatre-vingt-cinq personnes qui travaillent sur le tour ont dû rentrer chez elles. Suivirent ensuite une longue rééducation, puis une convalescence à Paris et à Los Angeles.


Vous avez beaucoup souffert ?
Oui. Longtemps, surtout. D'autant qu'il a fallu me réopérer fin juillet pour retirer les broches. Mais, honnêtement, je m'en suis bien sortie, même si, de temps en temps, j'ai encore un peu mal.


Quand avez-vous recommencé à travailler ?
Fin août, quand nous avons tourné le clip de Comme j'ai mal !


Un titre prémonitoire ?
Ce qui est incroyable, c'est qu'on venait juste de décider de sortir ce single quand l'accident est arrivé. Evidemment, le calendrier a été un peu modifié.


Vous avez entamé ce Tour 96 à Toulon, là où certains refusent de chanter, là où d'autres viennent pour s'exprimer...  Etait-ce un choix délibéré ?
Non, si ce n'est celui d'une des plus belles salles de France. Sur scène, mon seul message, c'est mon spectacle. Si je devais discourir, je le ferais ailleurs. Je sortirais des lieux communs détestables. J'ai par ailleurs gagné un procès contre Jean-Marie Le Pen, qui utilisait un sosie de moi pour sa propagande. Je ne prétends pas non plus qu'un chanteur ne doive pas militer. Je ne le fais pas, et cela n'engage que moi.


Votre nouveau show est très spectaculaire. Est-ce pour vous protéger de l'intimité qu'impose un récital?
L'analyse psychologique, il est trop tôt pour la faire (sourire). Je crois que je n'éprouverais pas de réel plaisir à être seulement derrière un micro. Mes envies de scène passent par ce goût du show à l'américaine, de "performance", de polyvalence.


Une performance qui requiert une sacrée condition physique. Vous la cultivez ?
J'ai fait appel à un préparateur physique, Hervé Lewis qui m'a surtout entraînée à l'endurance. Un peu de course à pied, de musculation, des massages et un régime alimentaire à base de sucres lents et sans Coca !


On vous dit végétarienne ?
Je ne mange pas de viande, mais plus par goût que par convictions diététiques ou morales.


A quoi dont-on cette évolution ?
Je me méfie du mot évolution. Je lui préfère épanouissement. Depuis mon dernier disque, j'ai passé quatre ans à réfléchir, à me détacher de certaines choses, à ne m'attacher qu'au moment présent, à m'oublier au profit de l'autre, des autres. Après l’échec de Giorgino, tout s’est encore accéléré. J’ai découvert le voyage et, ailleurs, le sentiment de vivre enfin en liberté. Une sorte d’apprentissage de la vie qui vous fait vous sentir plus légère. Et puis, j’ai tiré grand profit d’une lecture bouleversante, un ouvrage de Sogyal Rinpoché, "Le livre tibétain de la vie et de la mort". J’y ai appris quelques mots-clés  comme "impermanence". L’idée que pour apprivoiser la vie, il faut d’abord accepter la mort. Celle aussi qu’il y a une vie après la mort. Si on les reçoit plein pot, ces idées-là font office de détonateur. Et lorsqu’on les digère, on sent en soi une énergie nouvelle.


Voilà enfin cette sérénité qui, jadis, n'était pas votre fort ?
La sérénité, je ne l'ai pas atteinte. J'ai encore trop de chaînons manquants et je crains que le doute soit mon éternel compagnon de route. Mais aujourd’hui, même si je ne renie pas Cioran, je remplacerais bien le cynisme par l’humour. Le nihilisme, c’est évidemment tentant face aux agressions de l’époque, mais son enivrement rend stérile. Une chanson comme  Plus Grandir, je ne pourrais plus la chanter. J’ai acquis des certitudes comme celle du partage et je suis heureuse de terminer mon spectacle par un morceau d’espoir. De même que le colorer de blanc m’a inspirée, parce que c’est une couleur qui vous porte le haut.


Là, on flirte avec la religion, non ?
Le danger de la religion, c’est l’endoctrinement. Je considère le bouddhisme, avec sa légèreté et sa générosité, plus comme une philosophie.


Il vous a fallu beaucoup de philosophie pour oublier Giorgino ?
L’échec fait partie de ma pensée. Il n’a donc pas provoqué de rupture. Je crois même qu’il a été un bienfait, car il m’a obligée à fuir l’apitoiement sur moi-même et à boucler un cycle.


D’où votre affection pour cette phrase de Nietzsche : "Ce qui ne me tue pas me rend fort" ?
Oui, les difficultés de la vie, et principalement les déchirements entre les êtres, amènent à puiser en soi des forces insoupçonnées.


A dissiper les peurs, aussi ?
Non. Mais les peurs c’est utile, elles vous dynamitent.


Vous voulez dire "dynamisent" ?
Oh, ça veut dire la même chose. C’est un lapsus heureux (rires).


Et les excès, vous les revendiquez toujours ?
J’en aime certains comme j’aime la démesure. Je me méfie de la destruction et de l’irrespect de soi, mais je revendique le droit à la frénésie.


Vous, aujourd’hui, de quelle culture vous nourrissez-vous ?
Je lis beaucoup, et pas toujours Sade (rires). J’écoute (Bob) Marley, Courtney Love et d’autres, je regarde Planète et j’adore la peinture, Ernst ou Jérôme Bosch par exemple. Mais je ne vous dirai pas si j’en achète !


Il paraît que vos voyages vous ont conduite à Bali ?
Je n’y ai passé qu’un mois. Je me suis surtout partagée entre New York et Los Angeles.


Le soleil et les plages, c’est devenu votre truc ?
Les plages, non. Le soleil, oui. Bien sûr, je ne pourrais pas vivre en Californie éternellement, mais de temps en temps, l’espace, la surdimension, la qualité de vie quotidienne, et même la perte d’identité, cela fait du bien. Et puis, à Los Angeles, j’ai aussi travaillé. Enregistrer là-bas m’a galvanisée. Non pas que les musiciens y soient forcément meilleurs qu’ici, mais rencontrer d’autres gens cela donne du punch à ce que l’on crée.


Sexy, vous l’êtes de plus en plus. Vous avez dit un jour que troubler était un jeu qui permettait de se détester un peu moins. A voir ce nouveau spectacle, vous devez commencer à vous aimer ?
(Sourire) Dire que je m’aime serait aller un peu vite en besogne, mais c’est vrai que j’accepte mieux mon enveloppe. Je l’ai un peu rencontrée et je me sens plus prête à la partager. J’éprouve d’ailleurs une certaine fierté à porter de nombreuses tenues en scène et un réel plaisir à m’offrir.


Sur scène, vous mettez, à un moment, des hommes dans des bulles transparentes. Un de vos fantasmes ?
Qui sait (rires) ? J’ai surtout voulu évoquer la matière plastique et les préservatifs. J’aime cette idée de bulle, de sécurité et de transparence. Mais le rêve, c’est quand même que l’on puisse très vite s’en passer !


Une autre chanson met en scène des drag-queens. On sait que la communauté gay vous apprécie beaucoup et on vous entend chanter dans "Pédale Douce". Fascination ou militantisme ?
Je sais que je suis portée par la communauté gay, mais il n’y a pas de philosophie là-dedans. La catégoriser, c’est déjà la différencier, et je ne le fais pas. L’androgynie, plus on en parle et mieux c’est (sourire) !


Qu’est-ce qu’on ne sait pas de vous ?
Que je ne sais pas du tout cuisiner (rires).


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