Paris Match. Tu
n'as
jamais été aussi belle et épanouie.
As-tu des secrets de beauté ?
Mylène Farmer. La seule chose importante est
d'aimer et d'être
aimée. C'est bien la seule certitude que
j'ai aujourd'hui. Et la beauté
dépend du regard que l'on pose sur les
gens. Quand ce regard est celui de l'être
aimé ou tout simplement celui de la bienveillance, il agit
comme un baume enchanteur. La chance qui m'est
donnée de vivre en harmonie avec ce que je fais est alors
mon secret de beauté, c'est un lien fragile que je
m'efforce à la fois de remettre en cause et de
protéger.
Qu'es-tu
capable de faire aujourd'hui et que tu n'aurais pas
pu faire hier ?
Affronter des regards quand j'entre dans un lieu public sans
vouloir fuir l'endroit dans la fraction de seconde.
Souffrir d'un manque de confiance en soi, d'une
timidité qui vous fait parfois passer pour
quelqu'un de distant, de froid, n'est pas un atout
majeur pour faire un métier public. Pourtant, depuis
longtemps déjà, je n'ai eu
d'autre choix que de dépasser mes peurs, les
surmonter, n'en être pas – ou plus
– l'otage. Quand j'y pense,
c'est d'une violence inouïe de
dépasser ce handicap... Seules les personnes qui sont de
vraies timides peuvent comprendre ce par quoi l'on
passe pour y parvenir.
“Bleu
noir” est le premier album que tu fais sans Laurent
Boutonnat. Pourquoi t'es-tu éloignée de
lui ?
Je ne me suis en aucun cas éloignée de
lui. Après la tournée et les concerts au Stade de
France, il s'opère une effrayante descente aux
enfers malgré le succès, un vide
sidéral, un manque. Vous recevez tant d'amour, de
vibrations, autant de sensations qui vous donnent l'envie...
d'écrire. Laurent a tout à fait compris
mon besoin de créer. C'est aussi ça, la
complicité. Nous nous retrouverons pour le prochain
album.
As-tu conscience
que cet album est plus sombre que les précédents ?
Non... pas vraiment... Cet album, comme son titre,
“Bleu noir”, l'indique, passe de la
lumière au sombre puis à
l'obscurité. Ou l'inverse, je ne sais
plus.
On te dit
solitaire, voire recluse. Travailler avec une nouvelle
équipe fut-il un travail compliqué ?
Je m'adapte à de nouvelles
manières de travailler si tant est que
l'on respecte ma “bulle”, mes
silences, autant que je respecte moi-même
l'autre. Je suis quelqu'un de solitaire. Mais
j'ai aussi un grand besoin de l'autre et
je réfute le terme “recluse”... Quand
j'étouffe, je prends un train, un avion, et vais
voir d'autres cieux... C'est une
liberté, une chance inestimable de pouvoir voyager
quand j'en ressens le désir ou la
nécessité. Face à un paysage de neige,
je suis émue. J'ai grandi au Canada, je
suis certaine que cette attirance pour les paysages
immaculés vient de là-bas. Le grand froid a un
parfum très particulier, un son qui lui est propre.
J'ai retrouvé cette même
émotion quand je suis allée en Russie
découvrir Saint-Pétersbourg, en plein hiver. Au
bord de la Neva, ses canaux gelés... on guette Catherine II
de Russie...
D'autres
endroits que tu aimes ?
La Corse est mon refuge. Le jour venu, la tentation pourrait
être la Toscane. M'apaiser devant des
collines d'oliviers et de vignes...
Tes biographes
écrivent les mêmes clichés sur toi.
Qu'as-tu à cacher ?
Je n'ai pas de biographe, c'est certainement
pourquoi ce sont les mêmes clichés.
Dans ce qui a
été écrit à propos de toi,
qu'est-ce qui t'a fait le plus sourire ?
J'ai entendu parler de bain de jus de tomate, qui
m'aurait conduite à une “phobie
attractive” du sang, et de lit-cercueil. Je crois que tous
les fantasmes me font sourire quand il ne s'agit pas
de mes proches ou de ma vie privée. Pourtant, quand on me
rapporte les médisances d'un animateur de jeu
télévisé, quant à mon
prétendu play-back sur scène, je finis par me
demander si je ne préfère pas
l'histoire tout aussi fausse du jus de tomate.
C'est impressionnant de voir à quel point
certaines personnes se sentent grandies en
dénigrant, en tentant de blesser... Il s'agit bien
souvent de gens qui rêveraientd'une vie
meilleure. Encore faut-il en être à la
hauteur. Je crois à la vertu de la décence. La
critique est nécessaire ; la
grossièreté, inutile.
Es-tu
obsédée par l'idée de
laisser une trace de toi après ta mort ?
Obsédée, non. Le moment
présent m'importe. Laisser une trace...
dans le cœur de quelques personnes,
j'espère que oui.
Qu'aimerais-tu
que l'on dise de toi ?
“C'était une grande
astronaute.”
Quel regard
portes-tu sur la variété française ? Y
a-t-il des artistes qui t'intéressent ?
J'ai découvert Stromae, ce jeune artiste vraiment
original. J'aime beaucoup son titre “Alors on
danse”, sa silhouette, son phrasé et son timbre de
voix si particuliers. Il dit des choses graves sur un ton
léger.
Pourquoi as-tu
enregistré un duo avec Line Renaud ?
Je l'ai rencontrée lors d'un
dîner et, comme chacun semble le dire, quand on croise le
regard bleu de Line... une magie s'opère.
C'est une femme belle, décalée et
charmeuse. Je suis instinctive, le désir
l'emporte dans ces moments-là. Son
énergie vitale est impressionnante. Mais
c'est aussi quelqu'un qui doute, c'est
imperceptible mais touchant.
Tu navigues
continuellement entre Eros et Thanatos. L'amour et la mort
sont-ils tes deux seules sources d'inspiration ?
Il y a aussi la solitude. L'isolement. J'ai
essayé la joie de vivre, mais ça n'a
pas marché !
La politique
t'intéresse-t-elle ? As-tu de l'estime
pour ceux qui nous gouvernent ?
J'ai de l'estime pour le courage de tous ceux qui
acceptent cette lourde responsabilité sans abuser de leur
pouvoir.
Quelle est ton
image idéale du couple ?
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre : l'intelligence
complice.
Comment
t'imagines-tu dans dix ans ?
Ailleurs...
Ta
dernière tournée a été un
triomphe, envisages-tu de remonter sur scène ?
Oui... au moins une dernière fois !
Pourrais-tu
renoncer un jour à la chanson ? A la scène ?
Comment renoncer à ce et ceux qu'on aime ? Mais je
vais devoir apprendre...
Lors de tes
concerts, tu attaches une importance particulière aux
créateurs de mode : recherches-tu de nouveaux
talents, de nouvelles marques, de nouvelles inspirations ?
Quand il s'agit de préparer un spectacle, oui. Ce
choix est toujours délicat. Il ne suffit pas de faire du
“couture”, ce n'est pas un
défilé
de mode. Le créateur doit être aussi
capable de transposer les costumes pour une scène,
qui devront s'intégrer aussi à un
décor, à des lumières,
à un univers afin de rendre le tout homogène. Il
faut rencontrer alors des stylistes inspirés et qui
acceptent de se fondre dans l'univers de
l'artiste, afin que celui-ci ne disparaisse pas
derrière le costume, justement, mais se sente comme dans un
écrin... Je ne suis pas certaine que tous les
créateurs de mode en soient capables, il faut beaucoup
d'humilité...
http://www.parismatch.com
MYLENE en 10
questions
1. Ton livre de
chevet ?
Tous les livres de Stefan Zweig... le dernier lu étant "La
guérison par l'esprit", une réflexion sur les
pouvoirs de l'esprit et le besoin vital de croire. C'est passionnant.
2. Ton film culte ?
Choix difficile... il y en a plus d'un... mais je vais choisir
"L'important c'est d'aimer", d'Andrzej Zulawski. C'est sans doute l'un
des films qui m'ont le plus troublée. Romy Schneider y est
magnifique, sans fard, fragile, tragique.
3. Ton personnage
préféré de l'Histoire ?
Padre Pio, un moine capucin qui a eu une vie extraordinaire. Il me
fascine. Il a été canonisé en 2002, je
crois... Durant sa vie, il a reçu les stigmates de la
Passion du Christ, a dû affronter le diable... Ca me renvoie
à quelque chose de profond chez moi: l'inexplicable, qui me
bouleverse.
4. Une
émission de télé que tu ne rates pas ?
"Un jour, un destin" parce que j'aime les histoires vraies, les
biographies, les destins hors du commun. J'aime connaître
l'histoire des gens tout simplement. Je trouve que tout y est
remarquablement traité à travers des
reconstitutions de vie qui évitent le piège
facile du "jugement". Le fond comme la forme sont vraiment
réussis et les sujets souvent passionnants,
émouvants. J'aime aussi l'habillage de ces documentaires. Et
puis rien n'est laissé au hasard. Cette finesse est rare
dans le paysage audiovisuel. Et je regarde très souvent
"Faites entrer l'accusé". Les faits divers m'ont toujours
fascinée. C'est peut-être une forme de voyeurisme,
même si je ne le ressens pas comme ça. Je suis
saisie par l'horreur que m'inspirent ces criminels, mais aussi
submergée par l'évidente compassion que
j'ai pour les victimes et leurs proches. Qui peut penser un jour finir
son destin si tragiquement ? L'horreur et la perversité sans
limite de certains humains, parfois même sans remords,
glacent le sang. Si cette émission m'intéresse,
c'est parce que j'ai besoin de comprendre "l'inhumain".
5. La femme que tu
pourrais prendre comme modèle ?
Une comtesse âgée et discrète qui vit
non loin de chez moi, et recueille tous les chats errants. J'ai
moi-même adopté il y a quelques années
une chatte qui a élu domicile chez moi pour finir sa vie.
6. Ton
idéal masculin ?
Jean Rochefort, un acteur unique, un homme d'une classe folle, un
charme renversant. Je suis sensible à sa grande
délicatesse, c'est un être totalement
décalé, si émouvant aussi.
Bref...magnifique.
7. L'oeuvre d''art
que tu pourrais voler dans un musée ?
Une oeuvre de Giacometti.
8. Le disque que tu
emporterais sur une île déserte ?
Mais il n'est pas question que j'aille sur une île
déserte !
9. La
soirée de tes rêves ?
En Corse, en Sicile ou en Irlande, un feu de cheminée,
l'hiver, la neige qui tombe... bien qu'il n'y ait pas beaucoup de neige
en Corse et en Sicile ! Le vent souffle dehors, un verre de
côte-rôtie et s'enivrer doucement... en
écoutant la musique du film "Mission" par Ennio Morricone...
Le reste est top secret !
10. Une
épitaphe ?
Quel souci ! Ici gît "Je".