Télé 7
Jours : Vous avez vendu déjà plus d'un million
cent mille exemplaires de votre nouvel album, L'autre.... Vous en êtes
déjà à trois 45 tours extraits de cet
album, qui ont tous été ou sont en bonne place au
Top 50. Vous êtes abonnée au succès !
Mylène Farmer : J'avais choisi de dévoiler mon
moi intime beaucoup plus impudiquement que sur mes albums
précédents, où je me masquais
derrière le jeu ou la provocation. C'est important de se
sentir vraiment reconnue dans ses émotions.
Télé
7 Jours : Vous y puisez une nouvelle confiance en vous ?
Mylène Farmer : Je ne voudrais pas avoir l'air de me
plaindre. J'ai la très grande chance, par rapport
à beaucoup de gens, d'avoir réussi à
faire ce que j'avais envie de faire, de la façon que j'avais
choisie et d'y rencontrer le succès. Cela ne signifie pas
pour autant que ce succès m'a
débarrassée de toute inquiétude par
rapport à moi-même ou par rapport à ma
carrière.
Télé
7 Jours : L'inquiétude du "sommet" ?
Mylène Farmer : La peur, bien sûr, une prochaine
fois, de ne pas faire aussi bien, celle de décevoir un
public qui s'identifie et attend beaucoup de moi. Mais dans ces
lendemains qui m'attendent, ce qui me terrifie encore davantage, ce
serait de ne plus rencontrer que la tiédeur. Quand on a
connu des moments aussi inoubliables, on en espère de plus
forts encore. On ne peut pas se contenter de se
répéter, il faut aller encore plus loin. Se
mettre en danger.
Télé
7 Jours : Jouer sa carrière à quitte ou double,
quitte à la mettre en péril plutôt que
la consolider ?
Mylène Farmer : S'il ne s'agissait que de vendre de plus en
plus d'albums, j'aurais cédé aux sollicitations
de ma maison de disques. J'aurais visé le marché
étranger. Jusqu'ici, j'ai refusé parce que je ne
veux pas être aimée sans être comprise.
Je ne veux pas non plus chanter dans des langues dans lesquelles je ne
suis pas capable d'exprimer mes émotions. Je viens de passer
deux mois, seule, à Los Angeles pour parfaire mon anglais et
parvenir à m'exprimer dans cette langue. Je continue
à travailler à Paris.
Télé
7 Jours : Un jour, peut-être ?
Mylène Farmer : Si je me sens prête... J'ai la
chance de pouvoir gérer ma carrière comme je le
sens. Je ne suis pas obligée de sortir un album tous les
deux ans. Le prochain verra le jour quand j'aurai des choses
à dire. Pour le moment, c'est à travers l'image
que j'ai envie de m'exprimer. J'ai en projet un film, un long
métrage, avec Laurent Boutonnat. Les dates du tournage ne
sont pas encore arrêtées. Je sais que je ne
m'attellerai à rien d'autre tant que je n'aurai pas
réalisé cette envie-là.
Télé
7 Jours : Vous avez affirmé un jour "Si je ne fais pas de
cinéma, j'en mourrai". C'est peut-être un peu
exagéré !
Mylène Farmer : J'ai sans doute dit les choses ainsi.
Toutefois, si l'on extrait la phrase de cette conversation, c'est
certainement très exagéré. Je voulais
dire que j'avais besoin, après ces succès, de me
trouver dans une situation où je suis tenue de
m'étonner moi-même. J'ai envie de me
découvrir dans le regard d'un autre, de me surprendre
là où je ne m'attends pas. De donner au lieu de
contrôler.
Télé
7 Jours : Vous limitez les risques en travaillant avec Laurent
Boutonnat, qui a réalisé tous vos clips et vous
connaît par cœur.
Mylène Farmer : J'ai songé à
travailler sous la direction d'autres metteurs en scène.
J'ai lu les scénarios qui m'étaient
proposés et je n'en ai pas trouvé qui
satisfaisaient mon exigence. Laurent, lui, me propose un
défi qui me parait plus intéressant.
Télé
7 Jours : Jusqu'ici, vous avez toujours tout
contrôlé. C'est toujours vous qui choisissez le
contenu des clips qui illustrent vos chansons. Dans le dernier, vous
reprenez des thèmes des précédents :
l'ambiguïté sexuelle (une femme qui boxe), les
relations sado-masochistes. Mais cette fois-ci, vous les traitez avec
distance, avec humour. Pour dire au revoir à ce qui a fait
un moment votre singularité ?
Mylène Farmer : Je n'y avais pas songé, mais
c'est peut-être vrai. J'aime contrôler jusque dans
le plus petit détail chacune de mes réalisations.
Mais contrairement à ce que l'on a prétendu, je
suis tout à fait incapable de calculer. J'écris
une chanson ou je choisis le thème d'un clip en partant
d'une émotion, d'une envie. Je n'analyse pas les raisons
profondes de ces désirs. Si je les connaissais aussi bien
que cela, je cesserais sans doute de faire ce métier.
Télé
7 Jours : Est-ce pour protéger ce mystère que
vous vous faites si rares dans les interviews ?
Mylène Farmer : Par nature, je suis pudique et j'ai le plus
grand mal à parler de moi-même. En dehors de
quelques très intimes, peu de gens entendent le son de ma
voix. Alors, aller parler de moi devant des milliers de gens... Les
mots que j'écris sont mes confidences.
Télé
7 Jours : Et la rareté de vos apparitions à la
télévision ?
Mylène Farmer : Elle n'est pas liée à
mon désir "d'entretenir" le mystère ou le manque,
mais à mon exigence. Je ne vois pas pourquoi j'accepterais
que l'extrême rigueur dont je fais preuve dans mon
métier, qu'il s'agisse d'enregistrer un titre ou de faire
réaliser un clip, soit la proie de la négligence
au niveau de la prise de son ou de la prise de vue. Je ne l'ai jamais
accepté, alors même que je n'étais pas
connue. J'ai d'autant moins le devoir d'accepter des conditions qui ne
me conviennent pas.
Télé
7 Jours : Vous contrôlez aussi les photos à
paraître de vous. Vous ne vous supportez
qu'effacée à l'extrême, pas un
maquillage et des lumières poussées. Vous ne vous
aimez pas telle que je vous vois, avec plutôt bonne mine ?
Mylène Farmer : Je n'aime toujours pas beaucoup me regarder,
mais je fais des progrès. J'avais
décidé de laisser à un photographe,
dont on m'avait vanté le talent le soin de faire de moi une
série de photos où je m'en remettais totalement
à sa vision. La résultat a
été assez décevant. Je n'ai pas, pour
autant, décidé de renoncer à tenter
une nouvelle expérience.
Télé
7 Jours : Au résultat, on ne connaît de vous que
ces images que vous voulez bien donner. Vous existez pourtant en dehors
de votre métier.
Mylène Farmer : L'essentiel de ma vie tourne autour de lui,
mais j'ai aussi d'autres pôles
d'intérêts. Je vais très souvent au
cinéma. Je lis beaucoup. Je suis de très
près l'actualité, même si, comme
beaucoup de gens, j'ai du mal à me passionner pour le
spectacle lamentable que proposent les hommes politiques. Je regarde la
télévision.
Télé
7 Jours : Et vous y regardez quoi ?
Mylène Farmer : Les actualités, tous les
reportages, les débats, parce qu'au-delà du
spectacle, on découvre des hommes. J'ai une
particulière affection pour les émissions de
Jean-Marie Cavada. J'admire son intelligence, sa
générosité, son ouverture d'esprit,
qui lui permettent de nous donner à rencontrer des hommes de
tous horizons, de les rendre intelligibles même aux non
initiés.
Télé
7 Jours : Y a-t-il des personnages que vous rêvez de
rencontrer ?
Mylène Farmer : J'ai une très grande admiration
pour Cioran. Pour le chemin qui a mené ce philosophe
à dépasser le pessimisme profond de ses premiers
écrits pour parvenir aujourd'hui à une sagesse
qui n'exclut pas la lucidité. Son parcours est un
modèle pour moi. A son exemple, j'essaie de combattre en moi
une tendance au cynisme qui me déplaît.
Télé
7 Jours : Avez-vous essayé de le rencontrer ou au moins de
lui écrire ?
Mylène Farmer : Je ne sais pas aller vers les gens qui me
fascinent. J'ai le sentiment de ne rien avoir à leur
apporter. En revanche, j'ai bien aimé participer il y a
déjà quelques temps, à
l'émission de Michel Denisot, "Mon Zénith
à moi". Elle permet à des artistes de faire
connaître des personnages qu'ils ont aimés. C'est
une émission qui ne pardonne pas. On s'y découvre
dans ses choix. J'ai adoré celles offertes à
Maurice Pialat ou à Fabrice Luchini.
Télé
7 Jours : Si vous deviez la refaire, qui mettriez-vous à
l'honneur ?
Mylène Farmer : Un écrivain, Michel
Benoît, dont je viens de lire le livre (Prisonnier de Dieu,
ndlr) et qui, après avoir choisi d'être moine
à 22 ans, s'est retrouvé
congédié de son ordre, après lui avoir
consacré vingt et un ans de sa vie.
Télé
7 Jours : Vous croyez en Dieu ?
Mylène Farmer : Je me suis beaucoup
intéressée aux différentes religions.
Je ne sais pas s'il y a un Dieu, mais je crois qu'il existe quelque
chose, un au-delà.
Télé
7 Jours : Et des causes qui méritent que l'on s'y engage ?
Mylène Farmer : J'ai la plus profonde admiration pour les
gens qui se dévouent pour des causes humanitaires. J'avoue
que j'ai eu du mal, jusqu'ici, à savoir pour laquelle
prendre partie. Mais je viens de décider d'intervenir en
collaborant à la réalisation d'un disque au
bénéfice de la lutte contre le sida. Parce que
cette maladie qui punit de mort l'amour, me paraît
être la plus insupportable injustice.
Télé
7 Jours : Vous allez écrire un texte pour inciter
à la prévention ?
Mylène Farmer : Les gens savent. Je pense qu'un artiste
communique autrement que par un discours rationnel. Faire partie de
ceux qui se mobilisent et abandonnent leurs droits au
bénéfice de cette cause ma paraît aussi
efficace, et plus pudique.
Télé
7 Jours : Ne pensez-vous pas que sur ce sujet, les campagnes de
publicité manquent peut-être leur objectif ?
Mylène Farmer : Il n'est pas nécessaire
d'expliquer pour toucher. La campagne anglaise où, pour
dénoncer le massacre des bébés phoques
on montrait un manteau de fourrure dégoulinant de sang, me
semble beaucoup plus dissuasive que tous les discours.
Télé
7 Jours : Vous êtes toujours aussi attachée
à la cause des animaux ?
Mylène Farmer : Je les aime passionnément. Je vis
toujours avec mes deux singes capucins. Cette relation, qui se passe de
mots mais pas de langage, ne cesse de m'émouvoir. Ils sont
très différents. L'un cherche le contact, il
vient toucher, caresser, prend le visage dans les mains ; l'autre reste
à l'écart, replié sur
lui-même, attendant que l'on vienne à lui. Comme
deux faces de moi-même.
Télé
7 Jours : N'avez-vous jamais songé à vous
prolonger à travers un enfant ?
Mylène Farmer : Dire que je ne rêve pas, comme
toutes les femmes, d'avoir un jour un enfant, serait un mensonge. Mais
justement, cette idée de me prolonger à travers
un être me terrifie. J'ai très peur de retrouver
en cet enfant des visages de moi-même que je n'aime pas.
Télé
7 Jours : Peut-être faut-il être soi-même
en paix avec son enfance. Vous n'avez pas aimé la
vôtre, ni votre adolescence. Avez-vous pardonné
à ceux qui vous ont fait souffrir ?
Mylène Farmer : J'ai pardonné mais je n'ai pas
oublié et je ne suis pas encore arrivée au point
où l'on peut regarder avec tendresse les souffrances subies.
Télé
7 Jours : Elles vous ont surtout appris à être
celle que vous êtes devenues.
Mylène Farmer : J'ai appris, mais on ne m'a rien appris. Les
réponses, je ne les ai jamais eues et elles me manquent
toujours. J'ai appris à reconnaître les situations
capables de me faire souffrir, mais je suis toujours aussi fragile face
aux coups que l'on me porte encore de tous côtés.
Télé
7 Jours : On s'attendait à ce que vous soyiez
élue interprète de l'année aux
Victoires de la Musique.
Mylène Farmer : Ne pas être choisie, cela fait
partie du jeu. Ce qui me fait souffrir, en revanche, ce sont les
malveillances gratuites. On peut ne pas aimer ce que je fais, pas me
suspecter de manquer de sincérité.
Télé
7 Jours : Vous vous protégez comment ?
Mylène Farmer : En choisissant soigneusement les gens qui
m'entourent. Quand j'ai confiance, je me livre, je me moque de
moi-même. Sinon, je me tais.
Télé
7 Jours : Cette méfiance laisse-t-elle la place pour l'amour
?
Mylène Farmer : C'est une question à laquelle je
ne sais pas encore répondre. Il est vrai que chez moi,
l'attirance se double de rejet et que ma manie de tout vouloir
contrôler ne simplifie pas forcément les choses.
Je ne saurais avoir une relation avec quelqu'un en dehors de mon
métier. Pour m'aimer, il faut partager ma passion.
Télé
7 Jours : La partager ou s'y soumettre ?
Mylène Farmer : Sans doute s'y dévouer. J'ai du
mal, là encore, à m'abandonner sans
contrôler.
Télé
7 Jours : Vous supporteriez mal de ne pas être au centre de
tout l'intérêt de l'être aimé
?
Mylène Farmer : Je me le reproche, mais je n'y arrive pas.
Je suis si exclusive !