Interview
également publiée dans l'hebdomadaire
"Ciné Télé Revue" le 13 octobre 1994
(N°41) avec deux questions supplémentaires.
Le
Parisien : Le
cinéma, vous y songiez depuis longtemps ?
Mylène Farmer : Je souhaitais en faire depuis que je suis
sortie de mes cours de théâtre. Laurent, lui,
avait signé son premier long métrage à
dix-sept ans. Pourtant, quand on s'est connus, il m'a d'abord
proposé une chanson et tout s'est
enchaîné. Mais, en filigrane, avec les clips en
guise d'"expressive" patience, on préparait
déjà cette aventure.
Petite fille, quel
genre de film vous attirait ?
Le fameux Bambi...
incontournable ! Plus tard, M. le Maudit m'a
fascinée.
Giorgino évoque l'univers
psychiatrique. On dit que vous l'avez côtoyé ?
C'est un univers qui m'intéresse et m'attire. Il y a dans le
personnage de Catherine une part d'irréalité qui
m'a servi de prétexte à mon envie d'en savoir
plus. J'ai pu être accueillie une matinée dans un
service spécialisé et je me suis ensuite
inspirée de ces personnes dites malades.
L'ambiguïté
est-elle pour vous une sorte de besoin ?
Une inclination naturelle, vous voulez dire ?... Je ne sais pas ! Je la
constate, mais je ne la cultive pas. Je m'en nourris. C'est sans doute
une façon involontaire d'alimenter la chose. J'aime, en tout
cas, ce qui touche au mystère... Et donc ce film !
Son
côté conte cruel, ses atmosphères
inquiétantes, chères aussi à vos
clips, cela excite vos peurs ou votre plaisir ?
Je ne peux nier qu'il y ait une notion de plaisir. La peur, pour moi,
c'est une façon de rester vivante. Dans un monde plus
qu'anesthésiant, c'est donc assez jouissif.
Que vous reste-t-il
de vos peurs de jeunesse ?
J'ai toujours du mal à me souvenir de mon enfance. Ce qui
est sûr, c'est que le noir me fait peur. Il provoque
d'ailleurs chez moi un réflexe totalement idiot : je ferme
les yeux ! (rire) Je souffre aussi du fameux vertige du dessous de
lit... Le "qu'y a-t-il dans ce grand trou vide" ?
Faire vos
débuts d'actrice sous la direction de votre quasi-alter ego,
Laurent Boutonnat, était-ce rassurant ?
Savoir que la caméra qui vous filme vous aime bien, qu'elle
veut le meilleur pour vous, est forcément
sécurisant, même si l'extrême connivence
génère aussi quelques problèmes.
Dans ce film, on
vous voit rire une fois... Vous en êtes donc capable ?
La preuve est faite ! (sourire) Bien sûr que le rire existe
dans ma vie. J'ai même gardé en moi mon rire de
petite fille. Les années l'ont juste saupoudré
d'un brin de cynisme et transformé, peu à peu,
en... ricanement.
Vous restez, par
contre, très pudique... Est-il tout de même vrai
que quand vous vous dénudez c'est "pour mieux vous aimer" ?
On peut, je le crois, s'aimer un peu plus à travers le
regard positif des autres.
Sans être
nue, mais avec une gouttelette sur les lèvres ou encore le
pouce dans la bouche, vous avez l'art de provoquer... Est-ce que
troubler vous trouble ?
Certainement. Mieux vaut être désirée
que son contraire, non ? Mais cela reste un jeu. Sûrement pas
une profession de foi.
A
l'écran, vous campez parfaitement l'ivresse, celle de
l'éther comme celle de l'alcool. L'excès est-il
votre ami ? (question publiée uniquement dans
"Ciné Télé Revue", ndlr)
J'aime l'excès comme j'aime la démesure. Ils sont
indispensables à ma vie. J'aime la fêlure de ceux
qui boivent ainsi qu'une certaine approche de l'état
primitif, animal. Être
éméché, c'est souvent se
débarrasser d'une mauvais peau qui empèse. Bien
sûr, je me méfie de la destruction, des limites
à ne pas franchir et de l'irrespect de soi. Mais je
revendique le droit à la frénésie.
Amie de Luc Besson,
vous avez un singe qui s'appelle Léon. Y a-t-il un secret
là-dessous ? (référence
au film de Luc Besson,
Léon sorti également en 1994, ndlr)
Non. C'est juste le hasard. J'ai aussi un singe qui se nomme E.T. et je
ne connais pas Spielberg ! (rire)
Pourquoi vivez-vous
la plupart du temps aux Etats-Unis ?
J'apprécie la sensation de surdimension qu'on
éprouve là-bas. Et puis j'ai souvent besoin
d'anonymat.
Habituellement,
vous êtes silencieuse. Or, pour Giorgino, vous avez
accepté quelques interviews. Vous êtes
prête à vous faire violence quand les
intérêts économiques sont lourds ?
Je ne suis pas très expansive, c'est vrai. La
sérénité n'est pas vraiment mon point
fort, c'est vrai aussi. Mais j'ai découvert que j'avais
besoin des autres. J'essaie donc de me livrer un peu plus à
ceux que cela intéresse réellement. Je sais
pourtant que, la nuit venue, j'aurai l'impression d'avoir
été un peu violée. De ne pas avoir su
trouver les mots justes.
Pour vous qualifier
"sans contrefaçon", pour reprendre le titre de l'une de vos
chansons, faut-il parler de "libertine" ou de
"désenchantée" ?
Désenchantée, sans l'ombre d'un doute. Mais
surtout... pas désabusée.
On dit qu'une femme
est mûre quand elle a envie d'un enfant.
(question publiée uniquement dans "Ciné
Télé Revue", ndlr)
On dit ça ? (elle hésite) J'y pense... souvent...
très, très souvent !
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