Voilà un
désir enfin
réalisé, le cinéma vous y pensiez bien
avant la chanson ?
Notre
rencontre avec Laurent est née d'un
même désir : faire du cinéma. Pourtant,
nous avons existé tous les deux, grâce
à la chanson : un cadeau que la vie m'a fait
même si cela n'a pas toujours
été facile. Cette envie de faire du
cinéma, cette envie de faire ce film, a mûri
pendant près de dix ans : c'est long dix
ans…
Quelles ont
été vos premières
impressions à la lecture du scénario ?
Le sujet de Giorgino
m'a attiré par son
étrangeté, son originalité. Pour
parler plus précisément du personnage de
Catherine, j'ai senti que je pouvais y mettre beaucoup
d'émotions. Je crois que Laurent a puisé
certaines choses de ma personnalité pour
l'écriture du personnage de Catherine. Nous n'en avons
jamais parlé.... Je n'ai pas réellement connu la
magie de la découverte du scénario parce que j'ai
suivi pratiquement 24 heures sur 24 l'élaboration de ce
projet : j'ai aussi vécu les difficultés
d'écriture qu'ont rencontrés Laurent Boutonnat et
Gilles Laurent ainsi que tous les problèmes
inhérents au montage d'un tel projet. C'est,
malgré tout passionnant d'apprendre tous les
à-côtés d'un film. Giorgino a
été un accouchement dans la douleur, mais nous
vivons, Laurent et moi-même, dans ce climat depuis que l'on
travaille ensemble, rien ne se fait dans la facilité.
Peut-être ressentirons-nous un peu de bonheur ou
plutôt de soulagement, quand nous nous
déposséderons totalement du film, c'est
à dire le jour de sa sortie sur les écrans.
Qui est Catherine, cette
femme-enfant mystère que les gens
disent folle ?
Catherine est différente des autres et elle paiera cette
différence... C'est avant tout sa fragilité qui
m'a émue, j'aime son innoncence et sa violence
intérieure. Les enfants ont ça en eux :
naïveté, pureté et colère.
J'aime son incapacité à être dans le
monde des adultes.
Quelles sont, selon vous,
les blessures profondes de Catherine,
qu'est-ce qui a provoqué cette fragilité ?
Catherine n'est pas intellectuellement de son âge ce n'est
pas une jeune fille "retardée" mais simplement comme le dit
le prêtre : "elle a l'esprit d'un enfant". Elle est
restée isolée du monde extérieur,
probablement protégée par ses parents, s'occupa
elle-même d'enfants retardés. Pour Catherine, le
noyau de sa famille peut représenter la beauté et
le reste du monde la laideur... Catherine n'est pas armée
pour le monde extérieur et sa violence... La disparition des
enfants, de sa mère, puis de son père, sont
autant de traumatismes, de blessures irréversibles. Et puis,
une très jeune personne capable de dire : "et si
c'était la douleur qui faisait chanter les oiseaux ? ..."
n'est-ce pas suffisamment éloquent ?
On a l'impression que
vous êtes complètement
pénétrée par cette jeune fille.
Comment s'est faite l'approche de ce personnage étrange ?
J'ai une très grande liberté par rapport au
personnage de Catherine, c'est étrange, mais il n'y a pas eu
de grande difficulté quant à savoir comment
aborder ce rôle. Pour l'approche du personnage, j'ai
simplement eu l'envie de m'informer un peu sur l'univers psychiatrique
: j'ai pu assister à quelques entretiens entre "ceux qu'on
appelle des malades" et leurs docteurs, sachant que Catherine basculait
dans une dite "folie", en tout cas dans un retrait d'une dite
"réalité" particulière de ces
personnes très habitées, angoissées et
sous médicament pour la plupart...
Vous vous
étiez auparavant intéressée
aux enfants autistes. Cette observation vous a-t-elle aidée
pour le rôle de Catherine ?
Aidée, je ne sais pas, mais avoir envie de comprendre, de
percer les mystères de ce silence, de ce repliement sur
soi... Catherine a eu un trouble profondément enfoui en
elle. Le comportement des enfants autistes est tellement intrigant,
leur retrait du monde est inexplicable, on ne sait pas... Oui, j'ai
peut-être la sensation d'être proche d'eux. Une
communion dans le silence avec ces personnes-là me
paraît plus enrichissante parfois qu'une conversation...
Dans votre
interprétation, vous faites passer la "folie" de
Catherine de façon très subtile, les gestes, les
regards sont à peine esquissés, intenses mais
sans excès, sans débordement. Le trouble est plus
fort encore.
Je préfère les paroles murmurées aux
mots criés. En fait, je n'aime pas imposer, je
préfère proposer : cela vient d'une
pudeur et d'une timidité qui font partie de moi.
C'est ma personnalité, et mon jeu s'en
ressent certainement. D'autre part, Catherine me semblait
plus proche de l'"introvertie" que de son contraire... Je
n'avais donc pas envie, quand Catherine bascule
irrémédiablement, de passer soudainement
à un état épileptique et voyant. Dans
cet univers de conte où l'on bascule constamment
entre le vrai et le faux, le réel et
l'irréel, la lecture ne doit pas être
trop évidente. La présence des loups, les
comportements ambigus des personnages... pendant toute
l'histoire, on ne sait pas et c'est pour moi toute
la magie de ce film.
Ce doit être
troublant pour une comédienne
d'approcher la folie...
En effet troublant, attirant... Catherine semble tellement
apaisée, presque sereine, dès l'instant que le
monde environnant n'a plus d'empreinte sur elle. J'ai parfois le
sentiment dans des moments d'anéantissements de
frôler cette frontière
"normalité-folie", mais ceci est tellement intime... Peut-on
parler de traumatisme ? Tout dépend de ce que l'on donne de
soi dans une scène. Pour arriver à exprimer ces
sentiments extrêmes, il faut puiser dans ses propres
névroses, faire resurgir ses plus grandes craintes, douleurs.
Quelles ont
été pour vous les scènes les plus
délicates à tourner ?
Il est toujours délicat de dévoiler des
émotions devant plus de cinquante personnes
(l'équipe) qui sont en fait cinquante étrangers.
C'est d'une impudeur totale, et l'on se
déteste pour ça, mais on est engagé
pour le faire et le besoin de tourner, jouer, l'emporte sur
le reste.
Vous éprouvez
pourtant du plaisir quand vous montez sur
scène, exposée à des milliers de
regards !
C'est un plaisir suicidaire me concernant. Pourtant, cela me
manque terriblement, la scène, l'autre.
Ce paradoxe de l'artiste est très réel
: avoir un désir névrotique de lumière
et cette envie de se cacher.
Je bascule constamment entre ce désir et ce refus.
L'un ne peut pas exister sans l'autre.
L'un nourrit l'autre... La notion de plaisir semble
totalement abstraite pour moi. J'ai besoin du regard de
l'autre, besoin de ces deux métiers pour vivre,
c'est ma vie. Je refuse la tricherie.
Le jour où j'aurai la sensation de ne plus
ressentir, de ne plus être capable de donner, je
m'effacerai.
On retrouve dans Giorgino un
univers qui est, semble-t-il
très cher à Laurent Boutonnat et à
vous-même. Comment décririez-vous cet imaginaire ?
C'est un monde troublé et troublant et,
j'espère plein de poésie. Avec Laurent,
nous aimons les paysages enneigés (je suis née au
Canada). Je suis attirée par les relations, les sentiments
difficiles. Tous les deux, nous sommes instinctivement
attirés par les contes cruels, par l'irrationnel.
Tous deux, nous refusons dans le fond le monde des adultes.
J'aime les animaux, j'aime la folie, par exemple
celle des paysages fracassés où le regard ne peut
pas se promener calmement. J'aime aussi la mouvance
permanente, l'énergie sans repos possible.
J'aime tout ce qui porte au rêve.
Quels sont les
cinéastes qui ont marqué votre
imagination ?
David Lean reste mon préféré, ou un de
mes préférés, le personnage de
Catherine me fait parfois penser à celui de "La fille de
Ryan". Jane Campion a fait un chef-d'œuvre, "La
leçon de piano", ses premiers films sont magnifiques aussi.
David Lynch, "Witness" de Peter Weir, un film parfait, le sujet, sa
façon de filmer, son choix des acteurs,
tout…J'adore le cinéma de Bergman,
j'adore Oliver Stone. Dans un tout autre genre, "Batman 2",
Steven Spielberg bien sûr... et tant
d'autres…
J'aime les projets ambitieux, les metteurs en
scène qui ont une démesure, une folie comme
Kubrick, j'aime les fous...
En
littérature, vous appréciez Cioran ?
C'est un homme qui parle si bien de
"l'inconvénient d'être" et qui
par son cynisme arrive à nous faire rire. J'aime
son autodérision. Tout ce qu'il exprime est bien
au-delà du désespoir, c'est si
justement formulé, cruellement drôle, si bien
écrit. Il a enlevé toute poésie, tout
romantisme à la "dépression", à
"l'anéantissement de l'être"
ce qui rend tout plus violent encore. C'est aussi un homme
très séduisant.
Comment Laurent Boutonnat
vous a-t-il dirigée ?
Sur le plateau, il donne des précisions techniques, en ce
qui concerne le jeu, il m'a laissé une grande
liberté. Il m'a donné des indications
ponctuelles. Laurent sait installer un certain climat utile pour les
scènes à jouer. Il n'y a pas eu
réellement de discussion sur le personnage. J'ai lu le
scénario et je pense qu'il savait que je savais ce qu'il
souhaitait pour Catherine. Sur le tournage, c'était "Moteur
! Action !" et on parlait après. Après la prise,
il donnait son jugement "ça va" ou "ce n'est pas tout
à fait ça. On la refait".
Cela tient au fait que nous nous connaissons parfaitement. Avec les
autres acteurs, Laurent était plus volubile, je crois....
A vos yeux, quelles sont
les principales qualités de Laurent
Boutonnat ?
Sa démesure, sa perception du sentiment en
général. Avec sa caméra et ses mots,
il arrive à exprimer les troubles que l'on a en
soi. Il est poétique.
Pour moi qui ai suivi cet accouchement, je peux dire que Laurent va au
bout, vraiment au bout des choses. Il travaille comme un
acharné, bien sûr, c'est pour lui
qu'il le fait, mais il refuse de baisser les bras quitte
à en payer le prix. J'aime ça. Et puis
cette manière de filmer, il y en a si peu qui ont ce vrai
talent, cette maîtrise... Laurent fera partie, je crois, de
ces quelques metteurs en scène qui ne laisseront jamais
indifférent.
Que pensez-vous de Jeff
Dahlgren ? Quels ont été
vos rapports sur le tournage ?
Magnifique. Le choix qu'a fait Laurent me paraît tellement
juste. C'était lui et personne d'autre. J'aime sa
façon de jouer, très économe, il me
faisait parfois penser à James Dean ; et puis, il est devenu
mon meilleur ami.
Après Giorgino,
quel sera votre prochain
rendez-vous avec le public ?
Probablement
un album. Ou peut-être un autre
film.
J'attends que le réalisateur veuille bien
délaisser ses caméras pour reprendre son piano.
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